Écologie / Jura

Claude Borcard : « L’enjeu de la sécheresse nous préoccupe »

Entretien avec Claude Borcard, président de l’Espace communautaire Lons agglomération, sur l'enjeu de la sécheresse.

Source : pikist.com

On a beaucoup parlé avant l’été d’une possible sécheresse cet été, où en est la situation ?

L’enjeu de la sécheresse nous préoccupe surtout l’été, l’automne et l’hiver étant les périodes où les nappes se remplissent. L’enjeu, c’est les deux mois qui viennent car c’est là qu’on verra si on atteint les seuils d’alerte. On suit au jour le jour nos diverses ressources en eau : sur Lons-le-Saunier on a quatre sources et deux nappes, ce sont ces dernières qui fournissent la majorité de l’eau. On suit particulièrement celle de Villevieux car elle représente une bonne moitié de la consommation de la ville et c’est elle qui prend le relais quand les autres ressources ne suffisent plus. Concernant les seuils d’alerte, ils sont de quatre niveaux : vigilance, vigilance renforcée, alerte et alerte renforcée. Nous avons des modèles de courbes qui nous permettent de suivre tous les ans l’évolution du niveau des nappes. Actuellement, on rentre dans la phase critique et nous sommes pour l’instant entre le niveau vigilance et vigilance renforcée. Pour l’instant le niveau de vigilance renforcée n’est pas atteint mais on suit cela de près car sur les trois dernières années les niveaux sont descendus entre vigilance renforcée et le seuil d’alerte. On sera donc dans une période délicate jusqu’à fin septembre, à partir d’octobre les nappes commencent à se remplir de par la baisse des températures et de la durée du jour ainsi que par la baisse de la quantité d’eau absorbée par la nature.

Dans la pratique, comment le suivi est-il réalisé ?

Ce suivi a été mis en place il y a trois ans, avant mon arrivée (à la présidence d’ECLA, ndlr) on avait beaucoup de mal à savoir ce qu’il se passait. Il faut bien connaître la nappe et la gestion de son captage, la vitesse à laquelle elle se remplit… car quand on pompe dans une nappe on ne pompe pas toute la journée mais en fonction des besoins et après on la laisse se re-remplir. Un des critères importants pour nous c’est le temps qu’une nappe met pour se remettre à niveau. Normalement le mois de juillet est le mois où on pompe le plus mais cette année la pluie a diminué la consommation, notamment des particuliers pour l’arrosage et les animaux. C’est plutôt positif et je pense que cet été va se passer sans trop de difficultés.

Les niveaux d’alerte s’accompagnent de restrictions de l’usage de la ressource, quel rôle ECLA joue-t-elle là dedans ?

Les restrictions ne sont pas gérées par nous, les arrêtés sécheresse sont pris par la préfecture pour définir des zones et les restrictions s’appliquant à ces zones. Avant nous étions sur deux zones : une avec les sources et une avec les nappes mais c’était un peu compliqué à gérer, donc maintenant il n’y a plus qu’une zone pour ECLA. Nous gérons l’aspect technique, nos solutions sont de jouer sur les captages pour les réguler et adapter leur profondeur. Un autre levier que nous avons est de diminuer un peu le débit et si vraiment la ressource vient à manquer on peut être obligé de couper certains secteurs ou de trouver d’autres sources d’approvisionnement. Les réseaux étant tous interconnectés entre eux, on peut se connecter et acheter de l’eau par exemple au Haut-Jura qui a une grosse ressource dans la vallée de l’Ain. Et ça peut aller dans les deux sens, on vend d’ailleurs de l’eau à Beaufort. On maîtrise donc nos propres usages mais pas ceux des autres utilisateurs. On a mis en place des dispositifs pour stocker l’eau en période hivernale et la récupérer notamment pour l’arrosage des équipements publics et ainsi éviter de pomper dans la nappe en période estivale. On travaille aussi avec les industriels pour faire baisser la demande en eau.

Ce travail avec les industriels concerne-t-il également la pollution de la ressource ?

La pollution c’est un autre sujet : celui de l’assainissement. Et même si l’eau paie l’assainissement, les industriels ont leurs propres règles aussi parce qu’ils sont en installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE). Ce sont des règles qui s’adaptent à chaque établissement et qui sont gérées par la DREAL (Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement). Notre rôle est de récupérer l’eau et de la traiter dans nos stations d’épuration, la plus grosse étant celle à la sortie de Montmorot. Au niveau des industries on travaille principalement avec l’agroalimentaire, Bel et Lactalis ainsi que l’abattoir, qui sont les principales demandeuses d’eau. Bel et Lactalis sont des ICPE donc on travaille spécifiquement avec eux, ils ont d’ailleurs une tarification différente des autres usagers.

Les prélèvements effectués dans les sources de la Vallière révèlent la présence de quatre goudrons et d’un pesticide dans des quantités qui ne menacent pas pour l’instant la potabilité de l’eau. Comment surveille-t-on la potabilité et comment détermine-t-on un seuil de pollution intolérable ?

C’est un autre organisme, l’ARS (Agence Régionale de Santé), qui gère cela. Elle fait des relevés réguliers et impromptus et détermine si l’eau est conforme ou non aux normes de potabilité, où là aussi il y a des seuils. On a parfois des dépassements de seuils d’alerte dans certaines sources, alors nous devons les fermer. On a aussi des travaux qui sont en cours sur les captages des sources de Montaigu, car ils ont été victimes des pollutions liées aux épandages agricoles. La difficulté actuelle concerne surtout les métabolites, un phénomène relativement nouveau de molécules qui se combinent entre elles et dont on connaît très mal les effets sur la santé. Dans les nappes la pollution met d’autant plus longtemps à se dissiper qu’on y relève encore aujourd’hui des traces d’atrazine (pesticide interdit dans l’UE en 2003 en raison d’un risque cancérogène, ndlr). La pollution met également du temps à arriver dans la nappe, comme c’est le cas pour la nappe de la Seille qui est alimentée principalement par les plateaux du Jura.

Concernant les usagers individuels, quelle est l’action de la communauté de commune pour garantir l’accès à l’eau ?

L’eau potable et l’assainissement relèvent de la compétence d’ECLA, donc on doit gérer la production, le réseau et la facturation à l’usager. Cela inclut les cinq sources de captage dont nous avons parlé, les 10 châteaux d’eau, les 115 kilomètres de réseaux… Et après on calcule le rendement, ce qui est très important dans la gestion de l’eau car légalement celui-ci doit être d’au moins 80 %. Les réseaux fuient parfois, c’est le sujet majeur des années à venir car la plupart des réseaux d’eau ont été construits après la guerre. Sachant qu’une canalisation a une durée de vie entre 80 et 100 ans maximum, pas mal de kilomètres de réseaux ont besoin d’être changés. C’est un gros sujet car cela demande des investissements importants, il faut creuser, casser, enlever, remettre… A Lons-le-Saunier nous sommes entre 82 et 84 % de rendement à l’heure actuelle.

Ces investissements posent-ils des problèmes budgétaires à certaines collectivités jurassiennes ?

L’eau paie l’eau et l’assainissement donc si on est obligé d’investir plus, la solution est d’augmenter le prix de l’eau. Il y a bien des aides de l’agence de l’eau (pour le Jura, il s’agit de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, ndlr) mais elle est financée aussi par une redevance sur le prix de l’eau donc quelque part cela revient au même. Il y a un débat plus large autour du prix de l’eau parce que tout le monde ne paie pas pareil en France. Depuis que nous avons pris la compétence à ECLA, nous avons fédéré un certain nombre de communes pour rapprocher les prix et que tout le monde paie la même chose. Ailleurs les prix sont différents, certaines communes ne font même pas payer l’eau aux habitants en finançant cela directement avec leur budget principal mais cela reste un coût important. Comme exemple d’investissement sur ECLA, on a ajouté l’ultrafiltration aux sources de Revigny-Conliège, qui permet de maintenir une bonne qualité d’eau même après des orages, l’eau de ces derniers charriant souvent plus de débris de la normale. Cela a un coût, il s’agit d’un équipement sophistiqué qu’il faut gérer avec des agents qualifiés.

Une augmentation du prix de l’eau rendrait inévitable la question de l’acceptabilité de la part de la population. Pour atténuer ce problème, est-il envisageable d’organiser une plus grande participation citoyenne dans la gestion de l’eau au niveau d’ECLA ?

Ce n’est pas impossible mais c’est toute la difficulté du participatif: il faut des compétences techniques minimales. Nous travaillons plutôt sur la sensibilisation à travers des événements comme le Forum de l’eau (https://trenteneufdegres.fr/article/un-premier-forum-de-l-eau). On informe beaucoup la population autour de deux enjeux : la gestion des compteurs, avec les parts fixes et variables du prix qui font que moins vous utilisez d’eau, plus le mètre-cube vous revient cher, et comment mettre en place un prix progressif pour limiter la consommation. C’est très compliqué parce qu’il faut savoir combien il y a d’utilisateurs derrière chaque compteur. Dans le cadre du projet Demain l’Eau (http://www.cpie-bresse-jura.org/projet/demain-leau), il y a également eu des groupes de travail de citoyens animés par le CPIE (Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement, ici il s’agit du CPIE Bresse du Jura, ndlr) pour travailler sur les questions de qualité et de gestion de la ressource. Les groupes de citoyens ont pu faire part de leurs réflexions et propositions lors d’une restitution organisée le 26 juin dernier en présence des élus de la Régie des Eaux d’ECLA.