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Tracts nazis à Clairvaux-les-Lacs: Lakdar Benharira, président de SOS Racisme Jura, réagit

Après la découverte de tracts nazis dans les boîtes aux lettres de Clairvaux-les-Lacs, quelle riposte citoyenne et populaire ? Entretien avec Lakdar Benharira, fondateur et président de SOS Racisme Jura.

Lakdar Benharira, président de SOS Racisme Jura



Pouvez-vous rappeler la chronologie des faits jusqu’à aujourd’hui ?

Tout commence avec cette distribution de tracts nazis dans les boîtes aux lettres de Clairvaux-les-Lacs dans la nuit du vendredi 9 au samedi 10 juin. Suite à leur découverte, les Clairvaliens et Clairvaliennes sont saisi·es de stupeur et se demandent si ils et elles ont été ciblé·es personnellement. J’ai ensuite été informé par une militante proche des anciens combattants et j’ai décidé d’interpellerla préfecture qui a fini par prendre le sujet au sérieux. J’interpelle depuis des années sur les mots qu’on emploie : la préfecture a un comité opérationnel de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie qui est presqu’ uniquement utilisé pourdonner telle subvention à telle association. Mais le but d’un comité « opérationnel » ce n’est pas ça, c’est d’agir concrètement sur le sujet. On me dit qu’il ne faut pas faire de vagues, ni depublicité, mais je rappelle que le sigle « touche pas à mon pote » n’est pas né de rien du tout. Il est là pour affirmer des valeurs qu’on défend, notamment l’antiracisme, et ça il ne faut pas le perdre de vue. La maire de Clairvaux-les-Lacs a porté plainte et j’irai également porter plainte au nom de SOS Racisme.


Pourquoi la commune de Clairvaux-les-Lacs a-t-elle été ciblée pour cette diffusion de tracts ?

Le climat ambiant nous ferait plutôt nous demander « pourquoi pas ? ». Quand on entend toute la journée des amalgames entre la gauche et l’extrême-gauche, entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite... Quand au lieu de s’attaquer au fond des problèmes sociauxoncible chaque fois l’immigration, ça pose question. Ces tracts sont certes estampillés « nazis », mais l’extrême-droite en général est un problème. Au niveau local, à Poligny puis à Besançon, s’est constitué tout un réseau de néonazis qui se noyautent entre eux. Le souci, c'est aussi la place qu’on leur laisse. Je n’apprécie pas qu’on tolère 88 député·es RN à l’Assemblée et qu’on attaque les député·es de gauche en les traitant d’ultra-gauche, voire de terroristes intellectuel·les. Ils ont beau essayer de se dédiaboliser, le fondement du Rassemblement National, comme l’a rappelé Mme Borne, c’est Pétain mais aussi des Waffen-SS. M. Macron a dit que ce n’était pas un langage à adopter, il préfère glorifier Maurras et Pétain, certes le Pétain de 1914, mais, même en 1914, ce n’est pas lui qui a gagné la guerre, ce sont les soldats. Et même avant 1940, il était en Espagne sous Franco, la légion Condor, etc. Je suis atterré, il faut dénoncer les tentatives révisionnistes.


Une enquête de la gendarmerie est en cours, en attendez-vous quelque chose ?

Tant que l’enquête est en cours nous ne pouvons pas avoir d’éléments. Je demande cependant à tout le monde de faire preuve de vigilance, de prendre acte de ce qui s’est passé et de ce qui pourrait se passer. On a eu, dans un passé pas très lointain, la venue de Marine Le Pen à Clairvaux. Je pense qu’il faut avoir un regard et une réflexion sur tout ça. Même s’il s’en défend, le RN n’a pas renié ses origines nazies et pétainistes...


Faudrait-il enquêter sur de possibles liens entre cette distribution de tracts et des membres du Rassemblement National ?

Au niveau de l’association, nous avons souvent observé qu’à l’origine de tracts et de groupes néo-nazis, se trouvait soit un ancien membre, un membre actuel ou un proche de la mouvance RN. Cela fait des années que SOS Racisme alerte sur le fait que le RN ne fait que montrer un visage présentable. Le site auquel renvoientles tracts ne fait pas autre chose, il « appelle publiquement ses lecteurs à ne jamais commettre d’action violente ». Quand je lis ça je comprends « Publiquement, on est gentil mais ce qu’on fait par derrière, on ne le dit pas ». Donc je dis, ne vous laissez pas avoir, la croix gammée, ce n’est pas rien, c’est les chambres à gaz, l’extermination des juifs, des tziganes, des homosexuels, des handicapés...


Un rassemblement à l’appel de nombreuses organisations* est prévu samedi 24 à 11h au monument aux morts de Clairvaux-les-Lacs, quels en sont les objectifs ?

Pour moi l’objectif principal est déjà de ne pas laisser faire. En allant faire mes courses, j’ai rencontré un vieux paysan de mon village qui d’ordinaire n’est pas causant, mais qui a lu le journal et m’a dit: « C’est bien ce que tu fais ». C’est important de le souligner, parce que cela vient en réponse à une discussion avec les autres organisations pour déterminer si on n’allait pas leur faire de la publicité par ce rassemblement. Mais je pense qu’à un moment il faut se positionner et dire que la France n’est pas nazie, elle n’est pas raciste, elle est républicaine. Et la République, ce n’est pas ni le Rassemblement National ni Renaissance, c’est tous les citoyens et toutes les citoyennes qui veulent un avenir fraternel.


Face à cette montée des discours et des actes d’extrême-droite, quelles suites devraient selon vous être données à ce rassemblement ?

Je pense qu’il ne faut pas être sectaire. Au delà du cas actuel, je reviens toujours à la question fondamentale: pourquoi on s’en prend toujours à l’immigration. C’est parce que l’immigration ne vote pas. À SOS Racisme, on milite depuis les années 80 pour que les immigrés puissent voter aux élections locales, parce qu’un ou une élu·e s’adresse avant tout aux personnes qui peuvent voter. Si les immigré·es ne peuvent pas voter, alors il est facile de tout leur mettre sur le dos pour être tranquille, surtout dans la situation actuelle où les gens sont ponctionnés, maltraités, où on leur vole encore 2 ans [NDRL: 2 ans de retraite]. Qu’est-ce qu’il leur reste comme échappatoire ? De tout temps, la réponse aux problèmes sociaux a été d’attaquer les immigré·es, les Juifs, les femmes et les homosexuel·les. C’est le programme politique auquel renvoient les tracts, ainsi que certain·es élu·es actuel·les. Ce qui a fait la force de SOS Racisme, c’est qu’on lutte contre le racisme, l’antisémitisme, le fascisme, et c’est ouvert à tout le monde. Il existe des querelles de chapelles, plus ou moins à gauche, plus ou moins à droite, mais la réalité c’est que même à droite il y avait De Gaulle. Ce n’est pas mon camp politique, mais il y a des valeurs intrinsèques qu’on pouvait partager et qui sont en train de se perdre.


Il faudrait donc renforcer les structures existantes plutôt que de créer un comité plus formel ?

Le problème des comités et des collectifs, c’est le manque de temps pour tout faire dans nos propres organisations car dans un collectif, il faut trouver du temps pour se réunir. J’ai vu beaucoup de comités se monter, avec beaucoup d’énergie dépensée sur des actions à petite échelle, mais comment agit-on de manière globale ? Sur la question des réfugié·es par exemple, aider une famille c’est important mais ça mobilise beaucoup de moyens et d’énergie alors qu’on doit aussi interroger les services de l’État sur leur rôle en la matière. On m’a souvent reproché de vouloir que tout le monde vienne à SOS Racisme mais c’est faux. Je dis juste que sur des thématiques spécifiques, il y a des structures déjà en place qu’on peut rejoindre, ce qui n’empêche pas de conserver sa grille de lecture politique, syndicale ou autre.


* Liste des organisations actuellement signataires de l’appel : SOS Racisme Jura, ANACR Jura, Communauté Israélite du Jura, Amicale de Neuengamme, Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants, Amnesty International, Peuples Solidaires Jura, Jura Fiertés, Nous Toutes 39, Le Collectif Citoyen de Clairvaux, Espoir et Fraternité Tsiganes de Franche-Comté, Libres et Pensez, RESF, FSU 39, CGT, SUD Éducation Franche-Comté, LFI, PCF, EELV, PS.