Culture & Société / Lons-le-Saunier & Jura
Théâtre et handicap : une version libre et fantaisiste d’« Alice au pays des merveilles »
Le 10 décembre à Vivacité aura lieu un spectacle pas comme les autres, suite à une collaboration entre le TPM et l’APEI. Entretien avec Roselyne Sarazin, directrice du Théâtre de la Petite Montagne (TPM)
Le 10 décembre à Vivacité aura lieu un spectacle pas comme les autres, suite à une collaboration entre le TPM et l’APEI.
Un mot sur les protagonistes :
• C’est en septembre 1997 qu’est fondé le Théâtre de la Petite Montagne, à l’initiative de la comédienne Roselyne Sarazin. En 2020, la compagnie s'est installée à Lons le Saunier, au CULThUREL et propose une programmation très diversifiée : spectacles, lectures, conférences.
• Vivacité a pour objectif l'inclusion des personnes handicapées au tissu social ; le Bar des Copains interne à l'établissement a été inauguré récemment et les deux spectacles proposés par le TPM étaient ouverts à toustes, donc aussi aux personnes extérieures à l’établissement. Et les deux fois la salle fut pleine!
Nos correspondant·e·s pour Trente Neuf Degrés ont recueilli les propos de Roselyne Sarazin, initiatrice de cette aventure hors des sentiers battus.
Trente Neuf Degrés : Que préparez-vous pour le 10 décembre ?
Roselyne Sarazin : Nous sommes actuellement occupé·e·s avec un évènement intime, discret qui va se passer à l ‘APEI et dont les seul·e·s spectateur·ices seront les résidents et leurs familles. Ce spectacle sera joué par des personnes qui ont des handicaps intellectuels importants, éprouvant des difficultés à se souvenir de leur texte et de leur jeu. Je savais que ça se passerait comme ça, c’est la raison pour laquelle, quand on m’a sollicitée pour mettre en place un atelier théâtre, j’ai commencé par me demander ce que signifiait le théâtre pour les pensionnaires de l’APEI , si iels ont déjà vu des spectacles de ce genre, s’iels ont envie de jouer une pièce.
J’ai donc suggéré qu’on monte un projet au nom du TPM, avec le noyau de la troupe du TPM, et qu’il soit garant d’une sécurité pour les personnes handicapées. Nous sommes 6 membres du TPM, dont moi en tant que cheffe de projet, et 5 membres qui sont des acteurs amateurs ; l’une d’elles a travaillé il y a très longtemps à l’APEI et tous les anciens se souviennent d’elle, ce qui a créé d’emblée un lien de confiance et d’amitié.
Trente Neuf Degrés : Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
Roselyne Sarazin : c’est une rencontre au forum des associations en 2024 avec un résident de l’APEI et son éducatrice qui a fait jaillir l’idée d’un travail artistique avec des personnes handicapées
Au départ, on a commencé par un atelier d’improvisation hebdomadaire pendant plusieurs mois où on se retrouvait pour des exercices ludiques, ce qui m’a permis de voir comment ça pouvait avancer. Je prenais bien conscience qu’il serait difficile de structurer un spectacle. Alors j’ai proposé qu’on organise quelque chose de pas trop sérieux, qui nous autorise la fantaisie, et c’est pourquoi nous produisons une version très personnelle et originale d’Alice au pays des merveilles. On s’autorise toutes les surprises, tous les personnages, et on les fait à notre façon. Ça, c’est la première chose.
La deuxième, c’est que nous les avons emmené·e·s au théâtre ; nous sommes allé·e·s à l’Amuserie. Nous avons aussi fait venir le groupe des « Gospel friends » avec qui j’ai travaillé sur d’autres projets, comme un spectacle en hommage à Martin Luther King, à Joséphine Baker et à Rosa Parks.
Nous avons aussi organisé une soirée avec les artistes Bernard Bretin et Pascale Richem pour des chansons de Georges Brassens et Anne Sylvestre.
C’est un projet soutenu dans la durée. Nous avons répondu à l’appel d’offre de FDVA * qui nous a permis d’acquérir du matériel, notamment des marionnettes, et des costumes, et de réserver un petit émolument pour mon travail.
Trente Neuf Degrés : combien de résident·e·s participent à ce projet ?
Roselyne Sarazin : actuellement , il y a 12 participant·e·s très enthousiastes, très motivé·e·s, très accueillant·e·s, même s’iels ne se souviennent pas de leur texte, mais ce n’est pas grave car ce qui compte c’est qu’iels soient dans un mouvement, qu’iels s’expriment avec leur corps. Certain·e·s parmi elleux ne peuvent pas prononcer de phrases. Monter sur une estrade a déjà été une expérience, se présenter sur scène ; chaque membre du TPM joue donc le rôle de guide sur scène, permettant à chacun·e de briller à sa manière. Nous faisons notre atelier dans le lieu où iels vont jouer, dans la belle salle polyvalente de Vivacité afin qu’iels soient familiarisé·es avec le lieu de la représentation. Cela fait un an que nous travaillons ensemble régulièrement.
Trente Neuf Degrés : y a -t -il des nouveaux qui s’intègrent à l’atelier depuis sa création ?
Roselyne Sarazin : il y a des gens qui attendent pour le prochain groupe, qui sont inscrits et qui me rappellent que l’année prochaine, c’est leur tour de « faire du théâtre » Pour eux, cette activité est acquise et vouée à être pérenne.
Trente Neuf Degrés : qui sont les participant·e·s ?
Ce sont les personnes résidant à Vivacité. Il y a plusieurs Alice : l’Alice qui raconte ( une des participant·e·s qui sait lire et s’exprimer) Elle est sur scène, et elle raconte l’histoire. Une autre Alice est le mouvement sur scène. Une autre représente Alice toute petite grâce à une marionnette, une encore est Alice grande, elle aussi avec une marionnette. Il y a le lapin, le ver à soie, etc. Une des résidentes connaît parfaitement l’histoire, probablement pour l’avoir vue dans un film plusieurs fois.
L’enjeu c’est d’être ensemble et de faire quelque chose qu’on n’a jamais fait, vécu comme un moment de bonheur.
Trente Neuf Degrés : y a t-il une participation du personnel de l’APEI ?
Roselyne Sarazin :Au départ, il y a eu l’éducatrice qui m’a contactée au forum des associations ; elle était avec un résident que je connaissais pour avoir travaillé avec lui il y a environ 15 ans. Malheureusement elle est trop occupée pour se rendre disponible sur son temps de travail, mais dans les derniers jours avant la représentation, elle assurera sa présence aux répétitions.
Trente Neuf Degrés : Quel rôle joue la troupe du TPM ?
Roselyne Sarazin : Les membres du TPM accompagnent et soutiennent les résident·e·s, dans une ambiance joyeuse et sans pression. Le spectacle n’est pas commercial ; il s’agit avant tout de permettre aux participants de se sentir valorisé·e·s et reconnu·e·s. Le projet est très bien perçu et la troupe est heureuse d’y participer ; des interrogations au sujet du rendu du spectacle ont été levées mais ce spectacle est privé, il n’y a pas de défi. Ce qui va être formidable pour la troupe des résident·es c’est l’accueil de leurs camarades qui seront heureux de les voir différemment, dans un costume et une situation valorisante. Le bonheur que ressentent les acteurs est très touchant, et cela dépasse ce que j’aurais imaginé. Je n’ai pas d’épée de Damoclès au-dessus de la tête, et je vis cet instant de plaisir de faire des choses ensemble, dans la joie de vivre. C’est important dans l’ époque difficile et démoralisante que nous vivons, avec une actualité très dure à supporter.
Trente Neuf Degrés : quel est le titre de ce spectacle ? Sera- t-il filmé ?
Roselyne Sarazin : on considère que c’est notre version libre d’Alice au Pays des Merveilles, donc on n’a pas changé le titre de l’histoire. Le spectacle sera filmé, notamment pour les résidents ou les familles qui ne seront pas présentes le 10 décembre. Il y aura des chansons avec une base enregistrée, des éléments sonores, un des acteurs de la troupe fera des intermèdes explicatifs qui prendront le relais si une des acteurs résidents est bloqué. Une des actrices du TPM qui joue de la flûte fera des intermèdes musicaux. Il y aura de la surprise tout le temps ! La première surprise sera de voir comment se déroulera le spectacle. A priori c’est une représentation unique mais on ne s’interdit pas de la refaire si les acteurs de l’APEI le souhaitent.
Trente Neuf Degrés : quelle est l’implication de la municipalité ?
Roselyne Sarazin : La municipalité n’a pas été sollicitée pour ce projet. Le spectacle avait été présenté au maire comme venant de l’APEI et j’ai rappelé que c’était à l’initiative du TPM, dans le cadre d’un projet global de longue haleine. Peut-être le maire sera-t-il invité à ce spectacle qui est la conséquence d’une année de rencontres et la reprise d’une activité qui avait eu lieu il y a environ 15 ans et avait disparu avec un changement de direction à l’APEI.
Roselyne Sarazin
Trente Neuf Degrés : vous avez d’autres spectacles en cours ou en préparation, pouvez-vous en parler à nos lecteur·ices ?
Roselyne Sarazin : nous présentons « L’Europe a commencé à Ravensbruck *» au Culthurel le 9 janvier ; le 18 janvier nous présenterons à St Maur une lecture témoignage de Geneviève de Gaulle « la traversée de la nuit « accompagnée par la violoniste Christine Berthelier. D’autres projets sont visibles sur notre site :
https://www.theatredelapetitemontagne.fr/
https://www.theatredelapetitemontagne.fr/l-europe-a-commence-a-ravensbruck
* https://www.associations.gouv.fr/fonds-pour-le-developpement-de-la-vie-associative-fdva