Écologie & Mouvements Sociaux / Champagnole

Revenu et partage des terres au cœur des revendications à Champagnole

Près de 500 personnes se sont rassemblées samedi 24 février dans les rues de Champagnole à l’appel de plusieurs syndicats et associations du milieu agricole. La marche du matin s’est reformée en “un salon de l’agriculture made in Jura” devant les portes du magasin Leclerc.

Le revenu, la transition écologique et le partage des terres étaient au cœur des revendications à Champagnole

Il est 11 heures du matin lorsque les premièrEs manifestantEs se réunissent sur le parking de “l’ancien Super U” à Champagnole. Inhabituel; des tracteurs, des animaux, des gens vêtus de cottes et de bottes viennent grossir les rangs de la manifestation. Dans une ambiance festive, le cortège démarre. Ânes et chevaux de trait en tête de cortège, les tracteurs en queue, le décor est posé: paysannes, paysans et soutiens sont venuEs des quatre coins du Jura dans la lignée des mouvements sociaux agricoles de ces dernières semaines.
Les revendications contrastent avec les mesures annoncées par le gouvernement quelques semaines plus tôt, “on a un message bien distinct de ceux qu’on voit beaucoup dans les médias en ce moment, on insiste beaucoup sur la question du revenu qui a complètement été éludée dans les mesures prises par le gouvernement. Ils restent sur cette idée de la simplification mais c’est clair que pour nous, c’est qu’à partir du moment où les paysans auront un revenu digne qu’on pourra assumer la transition écologique” explique Steve Gormally, porte-parole de la confédération paysanne et viticulteur dans le Jura.

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© Simon PHILIPPE


Une question du revenu qui suscite des questionnements dans le Jura. Sur le bas-côté, parmi les nombreux curieux, une artisane coiffeuse, téléphone à la main filmant la manifestation, est surprise : “je suis d’accord avec les revendications des agriculteurs, mais je ne pense pas qu’on soit, avec la filière à comté, une région très à plaindre au niveau du revenu des paysans”. Avec une part de 77% d’exploitations pour l’élevage de bovins laitiers et 20% d’exploitations viticoles, le Jura s’est grandement spécialisé dans ces deux secteurs. Or, au sein d’un même secteur peut persister une disparité de revenus et de conditions très différentes. Puis s’y ajoutent 10% d’apiculteurs, d’herboristes, de maraîchers qui sont essentiels et invisibilisés mais bien présents dans le cortège.


Claire et Laurent, couple d’éleveurs de brebis laitières dans la petite montagne, appuient les revendications sur le revenu et sur plus de bio mais insistent également sur les difficultés d’installation : “quand on veut s’installer avec une ferme de taille moyenne en brebis, en chèvre ou en maraîchage, c’est difficile. Heureusement les collectivités sont de plus en plus réceptives sur ce sujet”.
Avec une banderole “Pas encore installéEs, déjà enterréEs”, les futurEs paysannEs de l’école de Montmorot déplorent également les difficultés d’installations : “chaque année c’est au minimum 60 personnes avec un brevet professionnel qui se forment pour devenir paysans et il y en a très peu qui s’installent et cela pour plusieurs raisons; la difficulté d’accès au foncier, c’est près de 200 fermes par semaine qui disparaissent, il y a aussi la difficulté de trouver des financements, les conditions de travail épuisantes les premières années...” Un autre étudiant, fils d'éleveur à côté de Champagnole, a du mal à s’installer :

“il n’ y a pas de rémunération sur l’exploitation depuis plusieurs années, les fermes de bêtes à viande subissent une décapitalisation du cheptel français, une importation importante des viandes venues d’ailleurs, une exportation de nos jeunes bovins, et pour nous le prix de la viande n’est pas suffisant. On a tout juste de quoi payer les factures, l’eau chaude, et de quoi se nourrir. On est obligé de vivre sur nos réserves et taper dans les biens familiaux. C’est rageant.”

A l’heure où la confédération paysanne réclame 1 000 000 de paysannEs en plus, la question de l’installation, du partage des terres est essentielle, d’autant plus dans le Jura.

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© Simon PHILIPPE


Après être rentré dans la grande surface, un éleveur laitier a pris la parole afin de détailler la situation de la production laitière française, devant un caddy rempli de bouteilles de lait Lactel prélevées dans le magasin Leclerc pour illustrer ses propos.
« La grande distribution et le complexe agro-industriel affament les paysan·nes, accaparent la valeur du travail des paysan·nes et en même temps rendent inaccessible une bonne partie de l’alimentation à des gens qui n’ont plus la possibilité de se la payer.
Lactalis propose à 405 euros la tonne quand les organisations de producteurs en demandent 420 et quand le coût de production minimum est à 450 euros les 1000 litres.
Pour le lait à comté on est plutôt rémunéré autour de 650 euros la tonne de lait, ça nous permet de faire vivre nos fermes, de continuer à avoir des fermes moyennes et petites ; une petite ferme de 40 vaches pour un producteur Lactalis c’est absolument impossible, le minimum serait d’avoir 70 ou 80 vaches, avec tout le travail qui va avec et le non-sens que ça peut générer.
Ce qui marche bien ici pour le lait à comté c’est la maîtrise des volumes ; les quotas laitiers n’existent plus, pourtant la filière comté a mis des choses en place qui permettent de limiter les volumes. Tous les producteurs sont convaincus que c’est la bonne solution pour garder un prix du lait qui soit rémunérateur. Puisque cette régulation est possible en comté, pourquoi ne pas y réfléchir au niveau européen sur l’ensemble des produits ?
On a besoin de politiques publiques qui protègent les paysannes et les paysans du libre-échange. »

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© Simon PHILIPPE

Des revendications diverses et importantes, la convergence des luttes entre associations écologistes et syndicats agricoles s’est rejointe devant le Leclerc de Champagnole pour se former en marché de producteurs. Champagnole n’avait pas connu si gros rassemblement depuis la manifestation du 26 novembre 2022 contre la fermeture des urgences à Champagnole. Espérons que leurs revendications soient plus entendues que pour la fermeture des urgences.