Société / Jura

Déni de démocratie : Clément Pernot s'attaque à l'agriculture jurassienne

Un rassemblement inédit a eu lieu à Lons-le-Saunier le lundi 27 février dernier: près de 300 personnes se sont réunies devant le Conseil départemental pour manifester leur soutien à l’association Solidarité Paysans, association dans la tourmente depuis que le Conseil départemental, dirigé par Clément Pernot, a supprimé une subvention de 25000€.

®Anthony Brondel, 300 personnes étaient venues remettre les 500 lettres de soutien reçues.

Cela faisait 26 ans que le Conseil départemental subventionnait l’association venant en aide aux agriculteur·ices en situation difficile et il aura fallu une décision unilatérale du président Clément Pernot, via un courrier reçu le 9 décembre, pour que tout s’arrête. Unilatérale puisque dans aucun des comptes-rendus du Conseil départemental cette décision n’a été mise au vote ou même discutée. Aucun des conseillers et conseillères départementaux n’a relevé et n’a pris la parole pour questionner cette décision.

Issu d’un réseau d’entraide informel, Solidarité Paysans se constitue en association sous l’impulsion de la Confédération paysanne et accompagne depuis 1991 des exploitations, des familles, des paysan·nes en situation difficile. « Quand on a créé Solidarité Paysans on espérait que cela ne durerait pas longtemps. Les motifs ont évolué, sont plus complexes, mais la réalité est la même. Quand on arrive à ce taux de suicide pour une profession (529 suicides ont été dénombrés en 2016 parmi les 1,6 million d’assurés du régime agricole âgés d’au moins 15 ans), ce n’est pas qu’une responsabilité individuelle, c’est une responsabilité collective et politique », explique Marie-André Besson, ancienne paysanne productrice de lait à comté et co-présidente de Solidarité Paysans Jura et national. L’association ne fait pas à la place de, mais avec les personnes en difficulté et seulement sur leur demande: « On défend un modèle alternatif d’agriculture, le système actuel ne permet pas aux paysans et aux paysannes d’avoir de l’autonomie, mais on ne veut pas imposer de changement, on est en appui et on accompagne pour que les agriculteur·ices reprennent confiance», détaille la co-présidente.

Si la situation des agriculteurs et des agricultrices est difficile aujourd’hui, c'est parce que les raisons sont multi-factorielles et ne se limitent pas seulement à des raisons économiques. La surcharge de travail, les contraintes administratives, le manque d’autonomie, le changement climatique contribuent à un climat anxiogène mettant à mal le métier et sa pratique. Depuis 2022, l’association a accompagné 80 familles dont 19 nouvelles cette année. « On accompagne des gens bien installés, des jeunes. La crise peut aller très vite et c’est un engrenage ».

Les raisons de l’arrêt de la subvention

« Nous allons agir pour essayer de résoudre nous-même, avec notre réseau de professionnels, la problématique du mal-être agricole. Nous assurerons la partie sociale, qui s’avérera nécessaire ou non, auprès du monde agricole pour y apporter une réponse professionnelle par des gens recrutés par nos services et sous l’autorité de nos services », annonçait Clément Pernot faisant comprendre qu’il voulait remplacer l’association par ses propres services.

D’un point de vue économique, c’est un non-sens total. La subvention représente 0.01% du budget annuel du Conseil départemental mais 30% du budget de l’association qui compte 2,1 équivalents temps plein salarié et 5219 heures de bénévolat soit 3,2 ETP. Remplacer l’équivalent de 5,3 ETP par les services du département reviendrait donc à engager cinq personnes, une hérésie sur un plan comptable et financier.

D’un point de vue social, également, quelle cohérence ? A l’heure où l’on dénombre plus d’un suicide par jour chez les agriculteur·ices, où les exploitations deviennent de plus en plus grandes, où la charge de travail augmente, pourquoi le département rural du Jura choisirait-il de supprimer ses subventions à l’association ? Les assistant·es social·es savent accompagner les personnes en difficulté, les aiguiller dans les démarches et peuvent avoir des compétences sociales précieuses; mais la question du mal-être paysan requiert d’autres compétences, souvent complémentaires à celles du département: « On travaille déjà en partenariat avec eux [la MSA, Chambre d’Agriculture], nous avons beaucoup d’anciens d’agriculteurs, techniciens agricoles, des gens qui ont travaillé dans le social, nous avons beaucoup de profils. On utilise les compétences des uns et des autres en favorisant l’accompagnement par les pairs. »Une décision irrationnelle économiquement et socialement. Alors, et si la raison de cette décision était ailleurs ?

Et s'il s'agissait en fait de représailles contre l'association?

Le dossier de presse de Solidarité Paysans de février 2023 indique que l’association a eu rendez-vous le 2 juin 2022 avec le président Pernot, un élu et des collaborateurs. Selon nos sources, le rendez-vous concernait une situation bien spécifique que l’association accompagnait. Clément Pernot aurait voulu que Solidarité Paysans appuie une proposition du Conseil départemental qui aurait permis, selon M. Pernot, de sortir un exploitant agricole de la difficulté. Toujours selon nos sources, cette "solution" proposée n'aurait pas été désintéressée puisque la Communauté de communes que préside M. Pernot aurait, au passage, tiré profit de la situation si la proposition avait été acceptée. Or, l'association Solidarité Paysans n'a pas vocation à convaincre les personnes accompagnées d'accepter leurs propositions, ou celles d'élus locaux, mais seulement à les éclairer dans leurs démarches: elle n'aurait donc pas appuyer la "solution" proposée par Clément Pernot. Suite à cette réunion, il y aurait eu silence radio du département jusqu'à la notification de non renouvellement de la subvention.

Aujourd’hui, l’association souhaite se battre et a lancé une pétition et un appel aux dons. « Que doit-on faire aujourd’hui ? Retrouver en urgence des financements ? Réduire la voilure ? Pour le moment, on est dans l’optique de se battre… Le rassemblement du 27 février m’a beaucoup touchée », raconte Marie-Andrée Besson.

Contacté, Franck David, premier vice-président en charge de l’agriculture au département n’a pas souhaité nous répondre indiquant que ce dossier faisait actuellement l’objet d’un recours juridique. En effet, constatant des anomalies dans le processus de décision, Solidarité Paysans a déposé un recours juridique.

Affaire à suivre.