Culture / Ruffey-sur-Seille & Bresse

Mehdi Krüger, un poète à l’écoute du public

Samedi 10 juin, Chants d’Etoile a eu l’honneur de recevoir à Ruffey-sur-Seille Mehdi Krüger, poète, slameur et chanteur accompagné par son guitariste Ostax. Entretien avec Mehdi.

Mehdi Krüger, poète, slameur et chanteur ©Alain Laplagne
« J’ai toujours eu la passion des mots. »

AL : Tout d’abord, merci Mehdi pour ce spectacle vivant. Parlez-nous de votre parcours et de vos inspirations.

MK : C’était un plaisir. Je ne viens pas du tout de la chanson, je ne me destinais pas à l’écriture et encore moins à la scène. En revanche, j’ai toujours eu la passion des mots, la passion de la littérature. Il y a véritablement des auteurs qui m’ont changé la vie. J’écrivais pour moi et j’ai ressenti vraiment le besoin de partager ces textes, de les dire moi-même, même quand je ne savais pas les dire. Comme pour beaucoup d’artistes, il y a eu des rencontres et un enchaînement. Aujourd’hui, ça va faire 20 ans, si on m’avait dit cela quand j’ai commencé, je n’y aurais pas cru.

« Le rap est l’avenir de la chanson qui sera beaucoup autour du texte. »

J’ai beaucoup été inspiré par la poésie, celle de René Char que j’ai beaucoup lue, celle qu’on n’a pas considérée comme telle, notamment à travers les auteurs de rap, de rap américain essentiellement, où j’ai découvert une autre façon d’écrire, d’appréhender le rythme, de donner vie au texte. Le rap est l’avenir de la chanson qui sera beaucoup autour du texte. Ce qui fait que la chanson peine à trouver son public en ce moment, c’est peut-être parce qu’on s’éloigne de plus en plus du texte et que ce serait ce retour-là qui permettrait de rencontrer à nouveau son public, un public rajeuni qui a un véritable appétit pour le sens, pour l'engagement et le soin du langage.

« L’idée est de faire beaucoup avec peu. »

AL : S’il fallait définir votre musique, vos créations, que diriez-vous ?

MK : On essaie de traverser beaucoup d’univers qui nous parlent : du blues, des influences électroniques, du jazz, du rap, de la musique classique et en même temps l’idée est de faire beaucoup avec peu. Il n’y a qu'une seule guitare sur scène, celle d’Ostax, le son change très peu et tout le défi qu'on a c’est comment une ligne mélodique et des mots véritablement ressentis et incarnés suffisent.

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Mehdi Krüger accompagné par son guitariste Ostax.

« La plus belle des scènes, c’est le coin du feu. »

On est à une époque de la surenchère spectaculaire avec des écrans, une sophistication de la scène. La plus belle des scènes, c’est le coin du feu.

« Notre création est un engagement personnel qui se matérialise dans l'écriture. »

Notre création est un engagement personnel qui se matérialise dans l'écriture. Moi, je crains la chanson engagée puisque bien souvent les meilleurs sentiments produisent les moins bonnes œuvres, et l’idée, c’est plutôt de dire quelles sont les questions que je me pose et que les gens en face de moi peuvent se poser. Par exemple, sur les libertés d'expression, on a un texte intitulé « Cause toujours ».

En écrivant ce texte, je tenais à ce que quelqu’un qui n’a pas mes idées politiques puisse s’y retrouver. On a également un texte sur les migrants.

Un artiste n'est pas là pour faire la morale, il est là pour poser des questions ou partager avec le public son travail sur des questions telles que l’identité "Arabstrait" (NDLR: Mehdi a une double origine algérienne et allemande)

Après, à moi d’amener le public à se mettre à ma place. Selon moi, un bon texte c'est une émotion ressentie qu’on intellectualise pour que ça redevienne une émotion au sein du public. Je n'assène aucune vérité, jamais.

AL : D’autant que les mots, vous les faites porter vers le public.

MK : Je crois beaucoup à l'engagement en tant qu'artiste. Le véritable engagement commence par soi et dans mon cas, sur scène, je ne demande pas aux gens de faire quelque chose que je ne fais pas moi-même. Je ne peux pas leur demander d’être attentif, si je ne suis pas attentif à eux. Travailler à partir d'une émotion, tous traversés de l'actualité de ce monde que peu comprennent ou qu'on fait semblant de comprendre. On est tous des fétus pris dans les grands courants des bouleversements de l'histoire. C’est juste partager ça. De toute façon, les questions sont toujours plus intéressantes que les réponses.

« Le rôle de l’artiste, c’est de réconcilier. »

AL : Quel est selon vous le véritable rôle de l’artiste ?

MK : Le rôle de l'artiste, de la poésie, c’est de tenter de réconcilier. Ce que l’on a tous en commun, ce sont quelques émotions universelles et une tentative de s’élever vers le beau. Et ça, tout le monde le partage à sa manière. L’écriture qui raccommode est plus intéressante, plus exigeante que l’écriture qui clive. Si je me contente de mon ressenti, de mes idées, je vais cliver. Si je m'ouvre aux autres, on va se réunir, le public va m'écouter.

« Je crois au spectacle vivant. »

AL : Certains spectateurs ont vu plusieurs fois votre spectacle. Comment l’expliquez-vous ?

MK : Je crois au spectacle vivant. La vie, c'est tout ce qui va à l'inverse de la reproduction mécanique. À chaque fois, un spectacle doit être unique. Peut-être que parfois c’est juste réduit à quelques silences ou à quelques notes et, quelques fois, ça bouge. Il faut garder cette liberté et pouvoir se surprendre et surprendre les gens. Il faut chérir l’accident. Le vrai défi du spectacle vivant en 2023, c'est d'offrir ce que Netflix ne peut pas offrir, du vivant, de l'imprévisible et de l’unique. Ces plateformes font une promesse qu’elles n’arrivent pas à tenir : remettre de l’intensité et de l’épique dans nos vies.

« La poésie est une discipline extrêmement contemporaine. »

AL : Quels seront vos prochains spectacles après Ruffey-sur-Seille ?

MK : Je trouve que la poésie est une discipline extrêmement contemporaine. Ce n’est pas du tout un art ringard en ce sens que c’est très plastique. Les prochaines créations que je vais mener, c’est à la fois avec des danseurs, des ensembles baroques. De nouvelles créations, notamment en novembre avec le quatuor de musique qui est un ensemble de musique classique. Tout comme je suis sur un spectacle européen qui s’appelle Babel Bach, inspiré de l’œuvre de Bach et qui est créé à la fois avec un ensemble baroque, les concerts de l’Hôtel-Dieu, une poétesse allemande et un slameur italien. On est dans cette idée qui recompose et qui unifie avec les trois auteurs dont les relations des pays originels n'ont pas été simples dans le dernier siècle. L’Allemagne, l’Italie, la France ont été à l'épicentre des conflits, des conflits d'idées aussi qui ont traversé le siècle jusqu'à l'absurdité, jusqu'à l'autoritarisme. Je trouve ça très beau, qu’après quelques années, on puisse se retrouver à créer des spectacles ensemble.