Écologie & Société / Ruffey-sur-Seille & Bresse

Matthieu, maraîcher à Ruffey-sur-Seille

Matthieu Bourdenet, 35 ans, est un maraîcher installé à Ruffey-sur-Seille depuis 2021.

Crédit Matthieu Bourdenet

Matthieu, 35 ans, est un maraîcher installé à Ruffey-sur-Seille depuis 2021.

L'équipe de Trente-neuf degrés a choisi d'envoyer un reporter l'interroger sur son métier.

AL: Peux-tu nous raconter ton parcours et ce qui t’a poussé à devenir maraîcher ?

MB: Je suis originaire de Strasbourg où j’ai grandi dans une zone périurbaine. Quand est arrivé le moment de choisir mes études universitaires, j’ai souhaité m’orienter vers un cursus qui me rapprochait de la nature et du monde paysan. Je me suis donc orienté vers un DUT en agronomie. J’ai découvert des problématiques et des parcours de vie très intéressants, ça m’a donné envie d’en apprendre davantage et j’ai donc continué en école d’ingénieur en agronomie, à Rennes, un cursus orienté sur l’aménagement du territoire et l’environnement. A l’issue de ces années d’études, je ne me voyais pas prendre un poste de bureau et j’avais besoin de travailler avec mes mains et de vraiment participer à la vie agricole. Je me suis orienté vers des exploitations viticoles, car le besoin de main-d’œuvre y est important, ainsi j’ai toujours pu trouver des fermes où travailler. Petit à petit, j’ai pu me former à toutes les tâches liées à la vigne et être autonome. C’est comme ça que j’ai découvert le Jura, où j’ai fait ma formation « taille de la vigne ». Je me suis très vite attaché à la région, mais par manque d’opportunités d’évolution professionnelle, j’ai fini par aller travailler ailleurs. Je gardais tout de même le Jura en tête comme lieu de vie. En 2020, j’ai entrepris un voyage à vélo en Nouvelle-Zélande, où je suis allé de ferme en ferme. La COVID a frappé et j’ai été confiné chez un maraîcher bio. J’ai pu passer plus de deux mois à découvrir ses pratiques agricoles et son mode de vie. J’ai eu le temps de beaucoup me documenter sur des techniques de culture sans tracteur, qui permettaient de produire sur une toute petite surface suffisamment de légumes pour se tirer un revenu décent. Fort de ces enseignements, je suis revenu en France déterminé à monter ma propre ferme, dans le but de participer à la re-localisation de la production de nourriture. Il me paraissait judicieux et même essentiel que chaque village arrive à s’auto-alimenter en légumes frais et de qualité, surtout en sachant que c’était largement possible et viable. Je souhaitais aussi créer de l’attractivité et de l’emploi en milieu rural, et à titre personnel avoir un métier qui ne participe pas à la destruction de la planète et de ses ressources. C’est ainsi que je suis revenu dans mon territoire de prédilection, le Jura, avec mon projet en tête et que j’ai eu l’immense chance d’avoir une opportunité foncière avec la Mairie de Ruffey-sur-Seille, qui a accepté de me louer un demi-hectare de terrain pour démarrer mon activité.

AL: Quelles sont les principales cultures que tu produis? Comment choisis-tu les variétés à cultiver ?

MB: Je cultive une quarantaine de légumes différents, pour proposer à mes clients une gamme qui s'étend d'avril à fin novembre. Au printemps, on retrouvera carottes nouvelles, petits pois, patates primeurs, poireaux, oignons nouveaux, betteraves, blettes, épinards, navets, fèves. L'été, haricots, tomates, poivrons, aubergines, courgettes, concombres se partagent l'étal, avec des melons et des salades. A l'automne, il y a des courges, des patates douces et tout ce qu'il faut pour faire des soupes et des gratins.

J'ai choisi les variétés que je cultive en fonction des conseils de mes collègues déjà implantés sur le territoire, afin d'être sûr qu'elles soient adaptées au climat local. On s'échange d'ailleurs beaucoup de graines entre maraîchers. Je produis l'essentiel de mes plants, c'est du boulot mais ça permet aussi une certaine indépendance.

AL: Utilises-tu des méthodes de culture biologiques ou conventionnelles et pourquoi ?

Je cultive selon la réglementation "agriculture biologique", et en plus de cela, j'ai fait le choix de tout cultiver à la main, selon des techniques de maraîchage sur petite surface qui permettent d'augmenter beaucoup les rendements au mètre carré tout en se passant d'outils mécaniques. Pour moi, il était évident de faire ces choix pour préserver ma santé et celle de mes clients et pour créer au sein de mon village une zone où l'environnement est valorisé et où l'on trouve une diversité végétale et faunistique importante. En plus des légumes, j'accorde de l'importance à implanter des fleurs, des haies et des arbres, et je vois déjà que ces choix attirent de nombreux insectes qui m'aident à lutter contre les ravageurs présents sur mes cultures (par exemple, les fleurs qui fleurissent tôt au printemps attirent les coccinelles qui attaquent les pucerons présents sur mes petits pois).

AL: Quels sont les défis majeurs auxquels tu es confronté dans ton quotidien ?

MB: Dans mon quotidien de maraîcher, le défi majeur, surtout en haute saison (de mai à septembre), est d'être présent sur tous les fronts en permanence : l'entretien des cultures, les récoltes, la maîtrise de l'irrigation et de l'aération des serres, les livraisons, la vente directe, le management, la comptabilité, la facturation, la planification... Cérébralement, tout ça mobilise beaucoup de ressources, et c'est parfois compliqué d'y voir clair quand on est en pleine canicule et que les heures de travail s'accumulent.

Évidemment, ma profession est très sujette aux caprices de la nature, un autre défi est donc d'adapter l'incertitude grandissante liée à un climat de plus en plus imprévisible, avec notamment des épisodes de vent violent et de gel printanier qui peuvent avoir des effets très dommageables sur mes infrastructures et sur les cultures. Ce n'est pas évident de savoir que l'on peut tout perdre en quelques secondes, et la couverture proposée par les assurances en cas de pépin est loin d'être satisfaisante.

AL: Comment vois-tu l'avenir de la vente directe et des produits locaux dans l'évolution des habitudes de consommation ?

MB: J'espère très fortement que la consommation d'aliments locaux produits de manière saine et créant de l'emploi sur nos territoires va devenir la norme dans les années à venir. Je vois que les clients apprécient le lien que nous avons créé. Au-delà de l'aspect marchand, il y a vraiment un lien de confiance qui se développe, les gens se rencontrent dans la file d'attente, discutent. C'est hyper satisfaisant de voir cette convivialité qui n'a rien à voir avec le bip bip des caisses automatiques.

Malheureusement, je vois peu d'incitations politiques allant dans le sens d'un développement de la vente directe. C'est nous les producteurs qui bataillons pour exister. Par mon installation, j'ai vu qu'en créant l'offre, j'ai fait venir des clients à un mode de consommation locale, qui avant cela consommaient probablement dans les circuits classiques qui importent des légumes produits à bas coût et de manière conventionnelle, en France ou à l'étranger. Des gens sont venus, mais très honnêtement, c'était du bluff, ça aurait très bien pu capoter. J'ai pu tenter l'expérience car j'avais de quoi assurer mes arrières si ça ne fonctionnait pas. C'est encourageant de voir que ça a marché, et j'estime qu'aujourd'hui ça fait partie de mon travail de fidéliser ma clientèle et de la sensibiliser aux impacts que leur choix de consommation ont sur le territoire. Je n'ai malheureusement pas forcément les moyens et le temps nécessaire pour élargir le public à qui je m'adresse.

Et puis, communiquer et sensibiliser n'est qu'une partie de la solution. Je capte en effet uniquement la clientèle ayant un revenu suffisant pour faire le choix d'une alimentation saine, malheureusement plus chère. Pour élargir le public, il faudrait que les politiques fassent des choix qui aillent vers une accessibilité universelle des produits locaux. Tout le monde devrait être en droit de bien se nourrir. Il sera, je pense, également nécessaire de sécuriser nos installations agricoles et de s'intéresser au sort de ma profession au sens large, en se demandant s'il est normal que beaucoup de ceux qui nourrissent le pays soient dans des situations de précarité et d'incertitude.

D'avril à fin novembre, Matthieu propose ses légumes à la vente le samedi matin sur un étal placé devant la boucherie de Ruffey-sur-Seille, rue du général Lecourbe. Ses clients viennent de Ruffey-sur-Seille et des villages alentours.

Contact : Matthieu Bourdenet, Ruffey-sur-Seille, 06 44 75 08 93