Santé / Champagnole

Le Jura est sous-doté en orthophonistes

Gabriel a 9 ans et habite à Champagnole dans le Jura. C’est un petit garçon qui adore courir, sauter et jouer dehors. Comme tous les enfants de son âge ? Pas vraiment, Gabriel est un petit garçon qui préfère jouer seul, échange peu avec les autres enfants de son âge et avec les adultes. Gabriel ne parle pas et communique très peu.

®Orthophonie UQTR, les orthophonistes manquent en France et d'autant plus dans le Jura.

En réalité, Gabriel est un petit garçon atteint d’autisme. Le trouble du spectre autistique (TSA) se traduit par une altération des interactions sociales, des troubles de la communication, des troubles du comportement ainsi que des réactions sensorielles particulières. Touchant environ 700 000 personnes en France, ce trouble engendre des difficultés d’intégration sociale.

Gabriel est un petit garçon qui ne joue pas avec les autres, ne pointe pas du doigt, a de la peine à exprimer ses besoins et ses douleurs, ne parvient pas à exprimer les émotions (ni les siennes, ni celles d'autrui).

Une prise en charge tôt par une orthophoniste est indispensable

Parmi les différents suivis importants dans le cadre d’un TSA, la prise en charge orthophonique permet le traitement des troubles de la communication. Les enfants atteints de TSA et leur famille ont besoin de ce type de suivi.

Gabriel a été suivi quelque temps par une orthophoniste située à 30 minutes de chez lui; la maman ayant trouvé un travail, il lui était impossible de continuer le suivi de l’enfant qui aura duré moins d’un an. L’incapacité de Gabriel à verbaliser et communiquer le pousse à extérioriser à sa manière par des comportements répétitifs qui l’apaisent. Livrés à eux-mêmes, les parents de Gabriel sont devenus peu à peu des experts de leur fils: ils connaissent les aliments qu’il ne supporte pas, anticipent les situations stressantes, les difficultés face à l’inconnu. Ils se sont formés seuls et ont dû apprendre à être indifférents aux regards et aux jugements des autres.

Il y a deux ans, Gabriel a été placé à l’IME de Saint-Claude. Les débuts ont été très difficiles, explique sa maman. En effet, la direction propose une vision peu axée sur les véritables difficultés du garçon. Sans même parler de la compagnie transportant Gabriel qui n’était pas du tout formée au handicap. Mais Gabriel est parvenu à s’adapter grâce à l’équipe (éducateur.ices, enseignant.es, …) de l’établissement qui sont très impliqué.es dans la prise en charge des enfants, et ce, malgré des moyens très limités et une direction qui ne les soutient pas dans cette vision. Aucun suivi orthophonique n’a été mis en place.

L'orthophonie, une spécialité professionnelle exercée par des femmes et mal reconnue

L'orthophonie est une spécialité professionnelle extrêmement mal reconnue, avec un salaire d’environ 1400 euros par mois en début de carrière dans les hôpitaux et les centres médico-sociaux. Un chiffre qui interroge lorsque l’on apprend par ailleurs que la profession est composée à 96,8% de femmes. Cette réalité pousse nombre d’entre elles à se tourner vers une activité libérale, et crée des manques encore plus massifs dans les structures publiques.

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Légende: L’assurance maladie Jura, 2018. Sur les 508 communes référencées par la Fédération Nationale des Orthophonistes (FNO), 244 sont considérées comme « très sous-dotées » en orthophonistes.

Seulement 48 orthophonistes (ameli, en 2018) exercent dans le Jura. 15 orthophonistes pour 100 000 habitant.es, soit l’un des taux les plus bas de France (moyenne de 29). Une des causes de cette pénurie est la difficulté importante des études. Entre 1,47% et 11,99% de taux d’admission en première année (à titre de comparaison, le taux d’entrée en médecine est de 13%). A la rentrée de 2022, seules 35 places étaient ouvertes à l’université de Besançon.

Gabriel est actuellement sur liste d’attente. Débordé.es par les afflux de demandes, les orthophonistes ne peuvent pas prendre en charge tous les patient.es et se retrouvent avec des listes d’attente de parfois plusieurs années. La maman de Gabriel relève qu’il faudrait revoir l’attribution et la gestion des places de prise en charge en orthophonie, afin que les enfants sans langage puissent bénéficier de créneaux prioritaires ou de places réservées. Ils se retrouvent dans des listes d’attente derrière des enfants dont les difficultés sont parfois moins urgentes (ce système de priorisation a été mis en place dans certains cantons de Suisse romande).

Dans le cadre d’un TSA, on sait qu’une prise en charge précoce est essentielle pour qu’elle soit efficace. En attendant, c’est la famille de Gabriel qui se retrouve livrée à elle-même, sans suivi adapté pour les accompagner dans l’évolution de leur enfant.

Les choix politiques ont des conséquences directes sur la gestion du handicap. Une mauvaise prise en charge peut entrainer des conséquences désastreuses laissant les personnes en situation de handicap et leurs familles dans une lutte permanente.