Santé / Jura

La fermeture des maternités: un système qui fait bien peu état des femmes

En 2018, la maternité de Saint-Claude a fermé. Il reste actuellement sur le territoire jurassien deux maternités publiques ainsi qu’une clinique à Lons-le-Saunier et une à Dole. Sans même parler du manque d’effectif (les sage-femmes réclament « une femme/une sage-femme »), ce sont les lieux physiques qui disparaissent.

La population de Saint-Claude réclame la réouverture de sa maternité ©️Céline Cottet-Emard

Que signifie vraiment supprimer les maternités ? Au-delà des anecdotes, parfois jugées amusantes, parfois émouvantes, des journaux locaux relatant l’accouchement d’une maman sur la route (ou dans un camion de pompier si elle a de la chance), quelles sont les conséquences de ces fermetures de maternités ?

Dans une étude proposée par l’émission La Maison des Maternelles en avril 2019, le premier facteur que les femmes prennent en compte dans le choix de leur maternité est à 49% la proximité. Mais les maternités ferment dans le Jura.

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Légende : Carte des zones couvertes par les maternités de Besançon, Dole, Lons-le-Saunier, Bourg-En-Bresse, Oyonnax à moins de 30 minutes de voiture. Les zones non-couvertes, en vert, s'étendent de Saint-Claude à Arbois et au-delà, en passantpar Longchaumois et Champagnole.

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Légende : Carte des zones couvertes par les maternités de Besançon, Dole, Lons-le-Saunier, Bourg-En-Bresse, Oyonnax à moins de 45 minutes de voiture. En zone non couvertes on trouve Longchaumois, Morbier, Les Rousses, Foncine-le-Bas, Morez…

Lorsque l’on habite à quarante minutes, une heure, voire plus, de la maternité la plus proche de chez soi, on a intérêt à planifier les choses en amont et à croiser les doigts pour que le planning minuté se déroule parfaitement. Accoucher au bord d’une route n’est pas une anecdote amusante parce qu’en réalité, pour accoucher dans sa voiture, il vaut mieux que tout aille bien. Une grossesse non pathologique, un bébé qui se présente bien et qui n’est pas en détresse, un accouchement sans complication, ce n'est pas donné à tout le monde (dans 4% des cas, le bébé se présente par le siège et 20% des grossesses sont pathologiques). Et cela sans même évoquer la peur et l’angoisse qui peuvent s’ajouter à la douleur des femmes dans ces situations. Si donner la vie est pour certaines, sans aucun doute, un moment merveilleux qu’elles attendent avec impatience, pour d’autres ce n’est pas le cas et cela peut devenir une source d’angoisse. Aussi et surtout, il s’agit de ne pas oublier qu’accoucher comporte des risques : déchirures, lésions; rarement, mais cela peut arriver, décès du bébé, de la maman ou des deux… (dans le monde, une femme meurt toutes les 2 minutes pendant la grossesse ou un accouchement* Une femme meurt toutes les deux minutes pendant la grossesse ou l’accouchement | ONU Info) Non, accoucher sans professionnel.les sur le bord d’une route n’a rien d’une anecdote amusante.

Les conséquences de la fermeture des maternités sur les femmes

Supprimer certaines maternités, c’est aussi un risque supplémentaire d’avoir des soignant.e.s débordé.e.s et des services pleins à craquer dans les autres maternités, augmentant le risque d’accouchement traumatisant pour les mères. En effet, lorsque les soignant.e.s ont plusieurs urgences en même temps, ils.elles ne peuvent pas être disponibles pour toutes les patientes. Certaines se retrouvent des heures seules dans leur chambre. On assiste aussi à des violences obstétricales dont certaines femmes ne pourront que très difficilement se remettre (à ce sujet, Arte propose un excellent documentaire Tu enfanteras dans la douleur, d’Ovidie). Les maltraitances de ce genre vécues lors d'un accouchement augmentent les risques de dépression chez les femmes et les privent de l’énergie nécessaire à la tâche intense de s’occuper d’un nouveau-né.

Ne plus avoir de maternité de proximité, cela signifie aussi pouvoir moins s’y rendre, au risque de n'assurer que le suivi de fin de grossesse. C’est devoir jongler entre les sage-femmes libérales qui nous suivent durant un temps et une autre équipe hospitalière; c’est redouter que les informations de notre dossier ne circulent pas. Tout cela n’est pas forcément grave, mais, dans cette période particulière de la vie, où se mêlent souvent désagréments médicaux, sentiment de vulnérabilité, stress et fatigue liés aux préparatifs, ce n’est pas une situation confortable.

Entre hyper-médicalisation et disparition des maternités

Enfin, il semble y avoir un paradoxe entre la médicalisation accrue de l’accouchement et la disparition des lieux de médicalisation (les maternités). En effet, en France, il est quasiment impossible de pouvoir accoucher chez soi accompagnée d’une sage-femme. Celles-ci ne peuvent en effet pas être assurées pour cette pratique, et en cas de problème, c’est elles qui sont responsables. Ainsi, elles ne sont que 80 environ à proposer l’AAD (accouchement à domicile) dans toute la France et aucune dans le Jura. De plus, il est fortement recommandé de se situer au maximum à 45 minutes d’une maternité lorsque ce choix est effectué. La pratique n’est ainsi pas interdite, mais terriblement contrainte. Les raisons évoquées par la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) sont très ironiquement les suivantes : « Nous considérons qu’ils ne permettent pas, dans des conditions optimales, de répondre aux besoins de sécurité et de qualité des prises en charge qui doivent entourer la naissance, situation qui n’est jamais exempte de risques, ni pour la mère ni pour l’enfant ». On ne peut donc pas accoucher chez soi, mais les maternités se font de plus en plus rares et sont de plus en plus loin : au final, accoucher sur la route sans assistance médicale est un scénario plus probable que de pouvoir accoucher chez soi accompagnée d’un.e professionnel.le. On maintient de ce fait les femmes dans un statut d’éternelles mineures qui ne peuvent pas avoir la maîtrise de leur corps et de leur choix, et qui subissent ce qui est décidé pour elles concernant leur santé et leur intimité. Si les critiques de l’accouchement à domicile sont souvent fondées, et qu’il ne faut pas faire de l’accouchement un acte anodin et sans risques, les fermetures de maternités mettent en lumière les paradoxes d’un système qui finalement, comme bien souvent, fait bien peu état des femmes, des risques qu’elles encourent, de leur confort et de leurs choix.