Désarroi et inquiétude à Molinges sur l’avenir de l’usine Eurostyle Systems, filiale de GMD
Le Groupe Mécanique Découpage (GMD), sous-traitant majeur de la filière automobile, qui compte 35 sites à travers le monde dont 15 en France, aujourd’hui très endetté, s’apprête à être « vendu » à l’euro symbolique à Pierre-Edouard Stérin, milliardaire français. Trente-neuf degrés a rencontré Josyane, salariée et Louise, déléguée syndicale CGT
Le Groupe Mécanique Découpage (GMD), sous-traitant majeur de la filière automobile, qui compte 35 sites à travers le monde dont 15 en France, aujourd’hui très endetté, s’apprête à être « vendu » à l’euro symbolique à Pierre-Edouard Stérin, milliardaire français.
GMD. Empêchons l’irréparable ! une seule solution : la nationalisation ! - Site Internet du PCF
Rappelons que P-E Stérin est à l’initiative d’une levée de fonds pour financer un programme de déploiement des forces d’extrême droite en France. Le projet Périclès a pour objectif de permettre aux racistes, xénophobes et autres antisémites d’accéder au pouvoir dans les plus brefs délais en tissant une toile partisane dans les milieux d’affaires et dans les médias mainstream afin d’influer sur les résultats des prochaines élections.
Trente-neuf degrés s’est entretenu avec Louise Da Silva, déléguée syndicale dans l’usine de Molinges et secrétaire à l’Union Locale (UL) CGT Haut-Jura Saint-Claude. Elle alerte sur le rachat de l’usine et suit l’affaire avec vigilance. Josyane, salariée qui a suivi l’entreprise sur le site de Molinges après la fermeture du site de Lognes en banlieue parisienne (77), témoigne de la catastrophe sociale et humaine que créent les destructions d’emplois.
39° : Louise, pouvez-vous faire un point sur la situation à ce jour ?
Louise Da Silva. : Depuis la fin de l’année dernière, j’ai interpellé beaucoup de politiques et des médias sur la possible reprise de l’entreprise Eurostyle Systems Molinges (ESM) à la suite de l’annonce du départ du PDG du groupe GMD Monsieur Martineau. A ce jour, le site est prêt à être cédé à Pierre-Édouard Stérin.
Notre gros sujet d’inquiétude est que l’acquéreur potentiel n’est pas en mesure de détailler son projet industriel tant que l’accord sur l’abandon de la dette n’est pas finalisé. Aujourd’hui, nous sommes dans le flou le plus complet sur le projet industriel. En somme, on ne sait rien !
Que va faire P-E Stérin quand il reprendra ? S’il reprend ? Le groupe GMD…. c'est 15 entreprises en France, 1825 salariés, 5000 dans tout le groupe GMD. Nous craignons qu’il y ait de la casse industrielle et sociale derrière tout ça, car c’est un financier pur, pas un industriel. Ce qu’on veut aujourd’hui, c’est de la transparence !
A Saint-Claude, la fermeture de MBF a été une catastrophe localement, au niveau des commerces, de l’hôpital ... Étant secrétaire de l’UL CGT Haut-Jura Saint-Claude, je vois de nombreuses·x salarié·e·s qui n’ont pas retrouvé de travail, des familles qui sont tombées dans la précarité. Si ESM venait à fermer, ce serait une autre catastrophe.
On ne pose qu’une seule question : quel est le projet industriel de P-E Stérin ?
En ce moment, il est en train de négocier avec les banques et avec l’État. Mais nous, les 1825 salariés, les invisibles, nous sommes dans la tourmente.
Mardi prochain, une visioconférence fédérale est organisée avec toute la CGT du groupe GMD - il y a d’autres syndicats mais la CGT est majoritaire dans le groupe GMD. Nous nous retrouverons à Montreuil pour faire un état des lieux des différents sites du groupe et de nos activités. Ce sera l’occasion de rassembler tous les éléments et envisager les actions que nous pourrons mener pour permettre la vraie clairvoyance sur ce futur rachat.
39° : quelles sont les actions déjà entreprises, et celles que vous envisagez à l’heure actuelle ?
L.D.S : En novembre, tous les sites de GMD ont débrayé pendant deux heures. Depuis des mois, nous sommes sans réponses aux questions que tous les salarié.es se posent. Nous faisons part de nos inquiétudes sur le développement du projet industriel, sur les garanties pour nous, les salarié·e·s. Derrière tout ça on voit des fermetures de sites en France, des destructions d’emplois à tout-va.
P-E Stérin n’est pas un industriel. Il va faire en sorte que le bien lui soit cédé gratuitement ou à l’euro symbolique. Sa demande d’abandon de la dette est une forme de subvention publique et un apport net des banques. Tout ceci ressemble à une opération financière d’achat avec destruction de l’activité et des emplois. Il serait inacceptable qu’une cession entre privés d’une entreprise utile économiquement et socialement se fasse à titre gratuit et soit en plus subventionnée par l’argent public !
Aujourd’hui, les salarié·e·s continuent de livrer les clients, restent très professionnel·le·s. Nous voulons donner une belle image de l’entreprise. Mais c’est dur quand on ne sait rien sur l’avenir de nos emplois.
A ESM, ce sont des familles qui travaillent, qui ont une maison, et qui se demandent quelles seront, dans les semaines à venir, les prises de décisions qui affecteront leur avenir. Après l’abandon de la reprise de MBF, la catastrophe va-t-elle s’ajouter à la catastrophe dans le bassin de vie de Saint-Claude Haut Jura ?
39° : Quelle est la prochaine étape ?
L.D.S : Nous devons interpeller publiquement l’État sur notre situation. Mercredi prochain, Evelyne Ternant (candidate NFP aux dernières élections législatives) se déplace, ainsi que Francis Lahaut élu à la communauté de communes, Maryse Pernot notre "mamie de la CGT" et d’autres militant·e·s de LFI, Céline Cottet Emard, André Laumaillier, Laurent Joublot-Ferré, François Lahu et Véronique Asnar (CGT/LFI), des journalistes locaux (le Progrès, la Voix du Jura). Il n’y a pas de rassemblement public autour de cet événement, qui reste une discussion autour de la table avec les acteurs·ice·s impliqué·e·s. On a eu un échange avec un journaliste de l’Humanité afin de l’informer de la situation.
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En 2020, l’usine de Lognes en banlieue parisienne fermait. Six salarié·e·s ont voulu rejoindre le site de Molinges. Josyane a tout laissé derrière elle, pour en arriver à ce deuxième désastre familial et humain.
Josyane : A Lognes, j’étais secrétaire du Comité Social et Économique (CSE), j’ai donc participé aux négociations au moment de la fermeture du site, en pleine période de COVID.
Début février, on apprenait que GMD choisirait d’effectuer un plan à Lognes ou à Molinges. Finalement, Lognes a fermé parce que la structure était à remettre aux normes. Molinges était un site vraiment neuf et propre. Au moment de l’annonce, le COVID est arrivé. Le site a fermé environ un mois. Une prime a été obtenue pour motiver les salarié·e·s à travailler jusqu’à la fermeture fin juillet. Ça s’est passé très vite. Début août, toutes les machines sont parties.
Je suis replongée dans les années où j’étais à Lognes quand, pendant trois ans, on a fait du bénéfice et les salarié·e·s ont eu de l’intéressement. Pendant tout ce temps, tout le monde a travaillé dur, on a toujours remonté nos manches. Voir que tout ferme d’un coup alors qu’on faisait beaucoup de bénéfices, ça fait mal !
J’ai l’impression de revoir la même scène se dérouler aujourd’hui à Molinges. Il y a un an, nous étions ici en déficit. Le directeur est sérieux et arrive à faire marcher l’affaire. Aujourd’hui, le site de Molinges dégage des bénéfices. Mais on se retrouve dans l’attente et l’inquiétude.
En 2020, j’ai tout laissé derrière moi. Mon fils est resté vers Paris car il avait un emploi, mais ma fille a démissionné de son poste pour me suivre. Actuellement, je suis la seule à travailler. De plus, je suis handicapée à 80 %.
On ne parle pas juste de machines, de rentabilité, de bénéfices, on parle des gens dans leur bassin de vie, on parle d’écoles, d’hôpitaux, de transports publics. On parle des drames humains qui découlent de la perte d’emploi.
39° : Vous souvenez-vous des circonstances de la fermeture du lieu où vous avez travaillé tant d’années ?
Josyane : Au moment de la fermeture, on n’avait plus accès à l’usine. Apparemment, elle s’est très mal passée. Des machines montées sur des camions sont tombées sur la route, des moules ont été sabotés. C’était une fermeture « à l’arrache ».
Les salarié·e·s qui acceptaient de venir à Molinges ont eu droit à une prime de déménagement. Ça s’est fait très vite. J’y suis arrivée le 20 août et j’ai pris mes fonctions le 1er septembre. GMD nous avait fait la promesse de nous aider à trouver un logement. Finalement, on s’est débrouillé·e·s tous·tes seul·e·s. On nous avait dit « vous allez voir, la vie est moins chère, là-bas ». Absolument pas, la vie est aussi chère qu’à Paris ! On a des difficultés à trouver des médecins, des dentistes ... Il faut faire une heure de trajet en voiture pour se faire soigner en neurologie. On est totalement dépendant·e·s des transports privés.
Depuis que je suis ici, j’ai fait deux chutes importantes. J’ai été arrêtée 7 mois suite à ma première chute, avec une double fracture à la colonne vertébrale qui n’a été décelée que trois mois plus tard faute d’un examen médical approfondi. Avant Noël, je suis tombée à nouveau avec un traumatisme crânien et une entorse à la cheville. J’ai attendu plus de quatre heures aux urgences avant d’être examinée. Quand je suis sortie à 5h30 du matin, j’ai du rentrer à pied faute d’ambulance ou de taxi disponible. La situation médicale est inadmissible, on arrive presque au niveau des pays du tiers monde.
L'équipe de 39 Degrés suit ce dossier de près, et vous tiendra informé·e·s de ses développements grâce à nos correspondant·e·s sur place.