LGBTI+ & Santé / Jura

Clément Pernot et ses collègues sur la pente glissante des thérapies de conversion

Le groupe Les Républicains a présenté le mois dernier à la présidence du Sénat une proposition de loi visant à "encadrer" la prise en charge des mineurs en questionnement de genre. Si cette proposition, signée par Clément Pernot, peut sembler raisonnable, ce qui se cache derrière est un vrai coup de pied dans les libertés de la jeunesse trans.

Un autocollant du NPA, fortement dégradé, revendiquant la simplification des démarches de changement d'état civil pour les personnes trans. Photo: Céleste Robert

Le groupe Les Républicains a présenté le mois dernier à la présidence du Sénat une proposition de loi visant à "encadrer les pratiques médicales mises en œuvre dans la prise en charge des mineurs en questionnement de genre". Clément Pernot, sénateur et président du conseil général du Jura, (qui a déjà fait l'objet d'un article de Trente Neuf Degrés pour avoir supprimé 25000€ de subventions à l'association Solidarité Paysans) figure tout naturellement parmi la centaine de signataires de cette proposition de loi au titre ambigu.

La proposition de loi N°435, qui sera discutée le 28 mai 2024, repose sur trois articles et vise à punir de deux ans d'emprisonnement et 30 000€ d'amende le praticien qui prescrira bloqueurs de puberté, hormonothérapies ou chirurgies de réassignation sexuelle à toute personne de moins de 18 ans dans le cadre d'une transition de genre. Elle propose aussi de déployer une "stratégie nationale pour la pédopsychiatrie" permettant à "tout enfant ou adolescent [...] de retrouver un état de bien-être psychique dans les meilleurs délais". Si ces propositions peuvent sembler anodines, voir souhaitables, ce qui se cache derrière met en péril non seulement la santé et l'autonomie de la jeunesse transgenre mais aussi les principes fondamentaux de notre démocratie.

La puberté trans

Il est facile d'imaginer comment la puberté peut être un moment d'extrême dysphorie pour les personnes dont le genre est en inadéquation avec celui assigné à la naissance. Dans ce contexte, les bloqueurs de puberté se présentent comme un compromis. Prescrits à partir du stade 2 de Tanner, ils mettent en pause la puberté afin que le ou la jeune en questionnement puisse prendre le temps de s'informer et d'expérimenter sans la détresse et l'urgence de voir son corps se transformer de jour en jour. Le traitement peut alors être arrêté à tout moment pour que la puberté reprenne son cours ou laisser place à un traitement hormonal substitutif. Lorsque, rarement, ils sont prescrits en France dans le cadre d'une transition de genre, c'est avec un accord parental et un encadrement psychiatrique et endocrinologique rigoureux, souvent difficile d'accès, bien loin de l'open bar pharmaceutique fantasmé par certains réactionnaires. En revanche, ils sont régulièrement prescrits à des mineurs en d'autres circonstances.

En fait, l'intégralité des traitements prescrits dans le cadre de transition de genre le sont bien plus couramment à des personnes cisgenres (non transgenres, qui s'identifient au genre assigné à la naissance), notamment des enfants, depuis des années, et parfois contre leur gré.

Les bloqueurs de puberté sont très souvent prescrits dans le cadre de pubertés précoces chez les enfants de moins de 13 ans. L'hormonothérapie peut être prescrite à des adolescents pubères atteints d'une insuffisance hormonale, lorsque le corps ne produit pas assez d'hormones sexuelles (testostérone et œstrogènes). Ou encore la mammectomie (réduction de la taille de la poitrine) qui est régulièrement prescrite en cas de gynécomastie, une croissance bénigne mais indésirable de la poitrine qui peut subvenir chez les garçons dans la phase adolescente.

Des traitements hormonaux et des opérations lourdes d'assignation sexuelle sont aussi régulièrement imposés pour conformer les enfants et bébés intersexes, sans leur consentement, parfois même sans celui des parents et avec des conséquences durables sur leur santé physique et mentale.

Si la transition médicale n'est effectivement pas un sujet à prendre à la légère, il est important de noter qu'il est impossible, à ce jour, pour une personne transgenre mineure d'avoir accès à une chirurgie de réassignation des organes génitaux.

Psychiatrie et thérapie·s

La psychiatrisation de la transidentité est un terrain glissant. Depuis 2015 (DSM-5), la transidentité n'est plus considérée comme un trouble psychiatrique mais plutôt comme un problème relatif à la santé sexuelle. Les suivis psychiatriques "spécialisés" sont trop souvent laborieux, humiliants et infantilisants, y compris pour les patient·es adultes. Les parcours ont parfois vocation à expliquer ou "diagnostiquer" la transidentité sans aucune base scientifique et médicale, mettant inutilement à l'épreuve la santé mentale de patient·es déjà fragilisé·es et stigmatisé·es. La Haute Autorité de Santé (HAS) préconise la dépsychiatrisation de l'accès aux parcours de transition et la reconnaissance de l'autodétermination.

Il existe un lien défini entre l'utilisation du prénom et de la civilité auxquels une personne trans s'identifie et son bien-être psychologique

Si l'article 3 de la proposition de loi n°435 n'est pas clair sur l'orientation de la stratégie nationale de pédopsychiatrie, l'exposé des motifs la clarifie en estimant nécessaire "l'abrogation de la circulaire du 29 septembre 2021", circulaire « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire » qui succède le suicide d'une lycéenne transgenre à Lille, fin 2020. Le bulletin propose des marches à suivre pour répondre à la situation des élèves transgenres et invite notamment le corps enseignant à respecter et à faire respecter l'utilisation des prénoms et pronoms choisis. Il existe pourtant un lien défini entre l'utilisation du prénom et de la civilité auxquels une personne trans s'identifie et son bien-être psychologique, en particulier dans les espaces de fort épanouissement social tels que l'école.

Autrement dit, il n'y a aucun doute sur les motivations du groupe LR derrière cette proposition, il ne s'agit en aucun cas "d'encadrer" la jeunesse transgenre mais bel et bien de la réprimer et la stigmatiser. Non sans rappeler le modèle outre-atlantique où la "protection des enfants" s'est transformée en criminalisation de la transidentité, avec des conséquences désastreuses sur la santé mentale des personnes trans et de leurs proches.

L'existence trans, c'est la liberté

Les paniques morales transphobes, qui sont de plus en plus médiatisées depuis quelques années ne sont qu'une évolution logique de l'obsession des réactionnaires avec l'autonomie corporelle. Elles invoquent les mêmes argumentaires et visent le même objectif que les mouvements contre les droits des femmes et des personnes homosexuelles depuis des décénies.

Alors que l'heure est à la constitutionnalisation de l'IVG et à la simplification des changements de sexe l'état civil, les lobbies anti-trans sont avant tout une offensive contre l'autonomie corporelle, la liberté de vivre socialement comme on l'entend et de disposer de son corps et de son accès aux soins.