Écologie / Bresse

Carrières de Vincent et Lombard : 14 ans de destruction environnementale supplémentaires ?

La demande de prolongation et d'extension de l'exploitation des carrières de Vincent et Lombard (communes proches de Bletterans) pour 14 ans n'a pas l'air d'inquiéter grand monde, y compris les partis politiques qui prétendent défendre l’écologie. L'enquête publique étant close, la demande est entre les mains du préfet du Jura. Il y a donc urgence.

Carrières de Vincent "à ciel ouvert" ©Alain Laplagne

Eqiom, l'exploitant de la carrière de Vincent, une sablière qui produit des granulats, des sables et gravillons d’origine alluvionnaire, déclare mener de front extraction et respect de l’environnement (voir article du Progrès à ce sujet). Mais lui et ses alliés nous prennent pour des lapereaux de six semaines. C'est omettre sciemment les risques écologiques de cette pratique si on en autorise la poursuite et l’extension.

Voici les critiques soulevées par Bruno Germain, un citoyen très préoccupé par les nuisances à venir.

Tout d'abord, la carrière artificialise des dizaines d’hectares de terres arables de qualité, en recourant à une concurrence déloyale sur le marché du foncier agricole. L’acquisition des parcelles à un prix spéculatif favorise l’augmentation globale des prix du foncier au détriment du maintien et du développement d’une agriculture nourricière et pourvoyeuse d’emplois agricoles. Elle substitue à une économie de production agricole une économie de rente financière qui profite à quelques propriétaires, exploitants agricoles ou non. En achetant le sol arable à ces derniers, la société procède d’abord à son décapage et stockage afin d’exploiter gratuitement le sous-sol sur cinq mètres de profondeur, au seul bénéfice de capitaux privés, qui ne contribuent en rien à l’économie locale, ni à la prise en charge des nuisances et dégradations occasionnées à la nature, aux collectivités locales et aux habitants, ce qui peut constituer juridiquement une forme “d’enrichissement sans cause”.

De surcroît, ce type d’exploitation alimente la persistance d’un système de construction et d’aménagement du territoire fondé sur le béton, massivement générateur de CO2, alors qu’existent des solutions plus écologiques de recours aux ressources locales telles que le bois, la chaux, la pierre, bien plus favorables au maintien d’un climat compatible avec la pérennité des sociétés humaines et la vie animale et végétale.

Ce qui pouvait être jugé acceptable au siècle dernier, voire lors de la construction de l’A 39, n’est plus admissible aujourd’hui, comme en témoigne le récent et alarmant rapport du GIEC.

Il en va de même pour la protection de la ressource en eau “potable”, “bien commun” qui fait actuellement l’objet d’un plan de restrictions d’usage en préparation, affiché publiquement par le président de la République.

Située au cœur d’un aquifère majeur du Jura et de Saône et Loire (classé “captage prioritaire” et desservant plusieurs dizaines de milliers de consommateur·trices) la gravière conduit à mettre ” à ciel ouvert “ la nappe d’eau sur des dizaines d’hectares supplémentaires par rapport aux lagunes créées lors des décennies antérieures. S’agissant de captages apparus fragiles ces dernières années, tant en qualité (dépassement des seuils de potabilité par la présence de S-Métolachlore) qu’en quantité et disponibilité (fortes variations des niveaux de la nappe à certaines périodes), la carrière fait courir à la ressource en eau des risques supplémentaires peu contestables, dont les conséquences n’ont jamais été sérieusement évaluées ni anticipées, ceci du fait :

  • de l’exposition à l’air libre, à la lumière, et à la chaleur en cas de canicule, de ces “bassines” géantes d’eau, en communication directe et constante avec la Seille et les nappes souterraines, exposition de nature à générer des pertes par évaporation, mais aussi le développement de bactéries pathogènes, voire d’algues toxiques, alors même que la filtration naturelle de l’eau par le sol et le sous-sol du bassin versant n’assure pas, en l’espèce, sa relative protection;
  • de la présence, à proximité immédiate des lagunes, d’exploitations agrochimiques, de routes empruntées par de nombreux véhicules de transport, d’installations de méthanisation, ainsi que des équipements d’extraction et de transport à moteurs thermiques de l’entreprise elle-même, qui sont autant de causes potentielles de pollution accidentelle des nappes, très difficiles à maîtriser ;
  • de la consommation considérable ( 750 000 m3/an ) d’eau des lagunes, c’est-à-dire de la nappe elle-même, pour le lavage des graviers extraits, eau en grande partie restituée sous forme de liquide boueux, turbide, dont la filtration lors de sa circulation dans la nappe peut être sujette à caution.

En cas de concrétisation de l’un ou l’autre de ces risques potentiels, à une échéance proche ou lointaine, les autorités décisionnaires et leurs services instructeurs assumeront une lourde responsabilité, certes partagée avec celle de la Société exploitante ou d’autres acteurs impliqués.

Pour sa part, la Société des carrières jurassiennes a exposé sa vision de ces risques et de leur maîtrise dans un dossier étoffé et bien construit, d’un volume tel qu’il est de nature à dissuader élus et citoyens de tenter de se forger leur propre opinion.

Elle formule nombre de déclarations de bonnes intentions, fournit des assurances, mais apporte peu de garanties véritables et démontrées, qu’il s’agisse des incidences climatiques ou de la protection de la ressource en eau.

Les services publics compétents pourront-ils compter sur l’impulsion de l’État et sur l’obtention des moyens humains nécessaires pour assurer les contrôles réglementaires de ces activités extractives ? L’expérience du contexte des accidents industriels de ces dernières années (Lubrizol, AZF, …), comme des pollutions agricoles et industrielles diffuses, ainsi que l’absence d’étude scientifique de leurs réelles conséquences sur la santé humaine et animale, ne rassurent pas.

Dans l’immédiat, on peut légitimement espérer que des mesures soient prises par les autorités en charge de l’intérêt public pour imposer aux sociétés d’extraction une contribution annuelle significative pour compenser les atteintes qu’elles portent à la nature, à leur seul bénéfice, ainsi que pour l’entretien et la restauration des infrastructures routières qui incombent aux collectivités locales, financées par leurs contribuables.

Il faut réagir, la dénonciation de ces pratiques dans certains conseils municipaux ne suffit pas. Un collectif doit être créé, des expert·es et des avocat·es spécialistes doivent être missionné·es pour présenter un recours juridique en annulation si accord il y a.

Avant cela, il est nécessaire d’informer le public de ce danger qui nous guette et qui contribuera au désastre climatique en cours, pour lequel l’inaction de l’État français a donné lieu à une condamnation par les juridictions administratives.